Cela peut etre malade, ou non.
Aimer des choses etranges, parler differemment. On le trouve laid, meme lorsqu’il ne l’est jamais. On rit parfois de lui, ainsi, parfois avec lui. Quand l’humeur n’est plus a rire, on en fera un bouc emissaire.
C’est ainsi que dans un petit village francais d’aujourd’hui, par un ete de canicule, les habitants, exasperes avec le vol d’une pompe hydraulique et surtout la chaleur, s’accordent a se penser que tout, absolument bien, est de la faute de Josef.
J’ai pompe volee, les larmes de Manon, la detresse d’la vieille Odette, meme Notre chaleur en general. Josef reste simple d’esprit (le corps medical cause de « debilite debonnaire et affective »), plutot enjoue, envahissant. Cela amusait autant qu’il enervait, mais on faisait avec, jusqu’a ce bete « coup de chaud ».
L’expression est familiere, anodine, presque desinvolte : a rebours de la video de Raphael Jacoulot auquel i§a donne le titre. Presque entierement situe sous l’eclat cuisant du jour, Coup de chaud s’ouvre dans la nuit, sur la course eperdue de Josef, blesse, cherchant sous la pluie torrentielle 1 refuge pour abriter sa douleur et peut-etre mourir. Toute l’ambition du realisateur s’y lit : s’il convoque sites des rencontres hindous le soleil, c’est pour mieux eclairer les tenebres du c?ur des hommes.
Coup de chaud n’est nullement un drame : c’est une tragedie une solitude au milieu de tous, de l’egarement collectif, de l’effet de foule. Ainsi placee en exergue, une telle scene de denouement vient couper net tout espoir d’une issue heureuse et d’un avenement en sagesse : la haine viendra jusqu’au bout, et le spectateur n’est jamais convie Afin de en douter, mais en observateur impuissant d’une fatalite.
Observateur impuissant
L’experience est cinglante. Refusant toute tentation esthetisante que pourrait offrir le decor rural, Raphael Jacoulot filme et met en scene avec autant de secheresse que le soleil tragique. Notre matiere visuelle reste forte. Elle aurait pu aisement soutenir environ sobriete dans le son, construit avec effets un tantinet volumineux.
Meme rare, la musique vient en trop, appuyant sans raison l’absolue lisibilite des visages et des gestes. Ca demeure 1 detail : l’ensemble se tient, ruine et inconfortable, autour de la silhouette pataude de Josef, que Karim Leklou incarne avec une puissance et une souplesse de jeu tout a fait saisissantes.
Le Josef est tour a tour laid et excellent, inquietant et doux. C’est absolument credible. On voudrait l’aimer, pour ne point etre de ceux qui le haissent. On n’y parvient pas vraiment, ainsi, c’est la le c?ur douloureux de cet etonnant parcours de spectateur, qui reussit l’exploit d’echapper de bout en bout au manicheisme. Josef reste un innocent, au sens ou il distingue difficilement le bien du mal. Mais votre innocent agit mal, quelquefois affreusement.
Au fil d’une construction attrayante, inversant legerement la chronologie pour montrer l’apparence avant de reveler les realises, Coup de chaud semble nous lancer le defi cruel de resister plus que des villageois a la tentation de le juger, lui, pour que tous les autres echappent au jugement. Notre dispositif reste visible, et l’on se devoile parfois qu’il l’est trop. Mais on n’en reste pas moins enferme dans la cage, avec Josef et l’integralite des autres, a chercher sans y croire un visage d’homme au milieu des betes.
Film francais de Raphael Jacoulot avec Karim Leklou, Jean-Pierre Darroussin, Gregory Gadebois, Carole Franck (1 h 42). Sur le Web : diaphana.fr/film/coup-de-chaud
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